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Un article sur les relations entre Rhipsalis teres et les fourmis

19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 19:34

… et cette bombe pourrait bien pulvériser les fondations de la physique théorique depuis plus d’un siècle.


Seminaire OPERA 23SEPT2011En effet, c’est une information inouïe qui a été postée le 23 septembre 2011 sur le site internet du CERN, l’Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire (actuellement le plus important laboratoire mondial de recherche en physique des particules, basé à Genève), sous un titre très mesuré, presque neutre : L’expérience OPERA annonce une anomalie dans le temps de vol des neutrinos allant du CERN au Gran Sasso.

Le mot « anomalie » pourrait faire sursauter quand on comprend de quoi il s’agit : en termes prudents, presque hésitants, le communiqué de presse annonce que la vitesse des neutrinos a été mesurée comme étant supérieure à la vitesse de la lumière…

Le soir même un séminaire est organisé par le CERN, diffusé en direct sur internet, pour présenter les résultats à la communauté internationale et à la presse (photo ci-jointe (©CERN) : Dario Autiero (CNRS), présentant les résultats de l’expérience OPERA le 23 septembre 2011).

 

L’expérience OPERA (Oscillation Project with Emulsion-tRacking Apparatus), entreprise scientifique complexe et de longue haleine dirigée par Dario Autiero, est conduite depuis 2006 par une équipe de 160 chercheurs internationaux issus de 11 pays. OPERA observe des faisceaux de neutrinos muoniques envoyés depuis le CERN en direction du Laboratoire souterrain de Gran Sasso, en Italie, à une distance de 732 km.  Le laboratoire du Gran Sasso est le plus grand de ce type dans le monde pour la physique des particules. Plusieurs centaines de scientifiques de nombreux pays y mènent des expériences dans les trois vastes salles protégées des rayons cosmiques sous les montagnes italiennes.

Les neutrinos sont les particules élémentaires les plus nombreuses de l’univers. Ce sont des particules électriquement neutres qui interagissent très peu avec la matière (des milliards de neutrinos produits par le soleil nous traversent à chaque seconde) et qui auraient une masse presque nulle.

beamtrajectory-frDans l’expérience OPERA les neutrinos sont engendrés par le Super Proton Synchrotron du CERN à Genève par l’impact de protons accélérés sur une cible de graphite et traversent la terre pour être enregistrés par le détecteur OPERA enfoui sous 1400 mètres de roches. Les mesures de temps de vol ont été collectées sur les 3 dernières années à partir de plus de 15 000 neutrinos.

En mesurant très précisément le temps de vol et la distance parcourue par les neutrinos, il est montré que les particules parcourent les 732 km en 2,4 millisecondes, avec 60 nanosecondes de moins que ne le ferait la lumière sur le même trajet dans le vide. C'est-à-dire que si des photons et des neutrinos faisaient la course sur un trajet de 732 km les neutrinos gagneraient avec environ 20 mètres d’avance.

Les physiciens ont fait et refait leurs expériences et leurs calculs, la distance parcourue par les faisceaux de neutrinos a été mesurée à 20 cm près et la durée du parcours a été déterminée avec une précision de moins de 10 nanosecondes. Ayant cherché partout et sans résultat une faille dans les expériences, ils ont fini par se décider à rendre publiques les résultats.

 

Face aux remous suscités, et suite à quelques questions de la communauté internationale des physiciens qui ont été émises lors du séminaire du 23 septembre, de nouvelles expériences ont été faites. Il existait en effet un biais possible : la durée de chaque bouffée de protons à l’origine des neutrinos était très longue par rapport à l’avance des neutrinos sur la lumière. Pour éliminer une erreur due à la longueur des bouffées de protons, ils ont utilisé des faisceaux de protons plus brefs et plus espacés les uns des autres de manière à identifier quel faisceau de protons était à l'origine de la production de chaque neutrino, ce qui permettait de calculer plus précisément le temps de vol de chacun.

Un nouveau communiqué du CERN est posté le 18 novembre 2011 sur internet, en entête de l’annonce du 23 septembre, pour préciser que la collaboration OPERA « a revérifié un grand nombre d’aspects de son analyse » et que les expériences complémentaires plus précises qui viennent d’être effectuées confirment totalement les résultats obtenus : 20 neutrinos ont été détectés avec une avance moyenne de 62,1 ± 3,7 nanosecondes sur la vitesse de la lumière. Les résultats sont maintenant en attente de publication : Measurement of the neutrino velocity with the OPERA detector in the CNGS beam.

 

Cependant, le CERN reste prudent et annonce : « Les importantes contraintes découlant de ces observations rendent improbables une interprétation de la mesure d’OPERA qui remettrait en cause la théorie d’Einstein et justifient d’autant plus la nécessité de procéder à des mesures indépendantes ».

En effet, ce résultat extraordinaire va à l’encontre de tout ce qui est enseigné en physique théorique et expérimentale depuis plus d’un siècle. La théorie de la relativité restreinte, énoncée par Einstein en 1905, postule que la vitesse de la lumière dans le vide (un peu moins de 300 000 km / seconde) est une vitesse indépassable, et indépendante de la vitesse propre de l’observateur. La vitesse de la lumière n’est pas une vitesse limite au sens conventionnel : la loi de composition des vitesses en relativité restreinte n'est plus une loi additive comme en physique newtonienne car la vitesse de la lumière est une vitesse limite quel que soit le référentiel considéré. C’est-à-dire que quand on additionne des vitesses on ne dépasse jamais la vitesse de la lumière. Depuis 1905 cette théorie a été confirmée par d’innombrables expériences et observations, et c’est la pierre de touche de toute la physique fondamentale.

 

Dans la vidéo ci-dessous une interview de Dario Autiero, le responsable de l'expérience OPERA :

 

D’ores et déjà on peut rapprocher les résultats du CERN de 2 autres résultats :

-     En 2007 les résultats de l'expérience MINOS aux Etats-Unis, dans laquelle des neutrinos produits dans le réacteur nucléaire du Fermilab voyageaient jusqu'au détecteur 735 km plus loin, montraient également un temps de vol des neutrinos plus court que la vitesse de la lumière. Cependant, du fait des marges d'incertitude statistiques de l’expérience, les mesures de vitesses restaient compatibles avec la vitesse de la lumière. Le détecteur de l'expérience MINOS est en cours de modification pour améliorer la précision des mesures de manière à pourvoir confirmer ou infirmer les résultats de l’expérience OPERA d’ici 1 an ou 2.

-     Assez gênant pour le CERN, leurs mesures semblent en contradiction avec la détection en 1987 de 24 neutrinos émis par la supernova 1987A du Grand Nuage de Magellan (photo ci-dessous prise par le télescope Hubble), arrivés sur terre au même moment que la lumière émise par celle-ci. Etant donné la distance de la supernova (168 000 années-lumière), si la vitesse des neutrinos dépassait celle de la lumière d’environ 7 km / seconde comme le montre OPERA, alors ceux émis par la supernova auraient du arriver sur terre plusieurs années avant sa lumière. Ce résultat est difficilement réconciliable avec celui d’OPERA.

 

Supernova 1987A (photo Hubble)


Il faut maintenant attendre les mesures de temps de vol des neutrinos qui seront obtenues par des expériences indépendantes. Toutes les équipes internationales qui ont les moyens de le faire se sont mobilisées pour ça, l’équipe MINOS sera probablement la première et annonce un possible résultat pour fin 2012.

En tout cas, si les résultats de l’expérience OPERA devaient être confirmés, les conséquences seraient énormes et il faudrait voir comment le dépassement de la vitesse de la lumière pourrait être intégré à la théorie de la relativité. Certains postulent que les neutrinos supraluminiques détectés par OPERA pourraient traverser des dimensions supplémentaires de l’espace, telles que les prédisent des théories, comme la théorie des cordes.

 

Le site internet de l’expérience OPERA : http://operaweb.lngs.infn.it/?lang=en

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4 septembre 2010 6 04 /09 /septembre /2010 22:16

Parfois des sujets initialement éloignés dans l’actualité scientifique se télescopent et permettent de faire des parallèles intéressants, qui éclairent d’une lumière nouvelle des débats polémiques.

 

carte carence vitamine ALe riz doré est une plante transgénique, dite OGM (organisme génétiquement modifié), qui a été conçue par des biologistes dans les années 2000. Ce projet universitaire a été initié en 1992 pour lutter contre les carences en vitamine A des populations des pays pauvres, qui sont la cause chaque année de centaines de milliers de cécités, et de milliers de décès journaliers. On estime à plusieurs centaines de millions le nombre de personnes concernées par cette carence dans le monde, principalement en Afrique (carte à gauche, importance décroissante des carences de rouge à vert).


Certains végétaux contiennent dans leurs parties colorées des caroténoïdes, comme le béta-carotène, qui sont des précurseurs utilisés par les animaux pour fabriquer de la vitamine A. Le riz doré est une plante dans laquelle les gènes de plusieurs enzymes ont été intégrés pour faire produire du béta-carotène dans le grain de riz, d’où la couleur jaune des grains et l’appellation de riz doré (photo ci-dessous, comparé au riz blanc).


Comme toujours, très tôt des associations anti-OGM sont parties à l’assaut du projet de transgénèse sous des prétextes fallacieux. Elles ont d’abord reproché au riz doré de ne pas produire assez de caroténoïdes et d’obliger les gens à en consommer des kilos pour atteindre des doses suffisantes, feignant d’ignorer qu’il s’agissait d’un projet évolutif dont l’enjeu initial était d’en tester la faisabilité. Ainsi en 2005 l’un des 2 gènes qui avait été utilisé pour la transgénèse, celui de la phytoène synthétase de dahlia, a été remplacé par le même gène venant du maïs, plus performant, ce qui a permit de multiplier par 23 la quantité de provitamine A produite : il suffisait alors de consommer 144 g de riz pour obtenir la quantité de vitamine A quotidienne recommandé, soit une quantité de riz habituellement atteinte dans la consommation des populations pauvres.


GoldenRice-WhiteRiceL’idéologie plus que les faits étant à la base de l’hostilité à la transgénèse, les associations anti-OGM ont alors changé leur fusil d’épaule. Elles ont invoqué les risques potentiels de la monoculture du riz doré vis-à-vis de la diversité des cultures de riz. Manque de pot pour les associations, l’institution en charge du développement du projet transfère le caractère  riz doré à toutes les variétés de riz locales : on n’appauvrit pas les ressources génétiques, on les enrichi.

Et puis les associations anti-OGM sont passées à des discours incantatoires et ont postulé que la carence en vitamine A des centaines de millions de personnes dans le monde devait se gérer par une diversification de leur alimentation. C'est-à-dire suivant la logique économique de Marie-Antoinette avant la révolution française qui, face aux français affamés qui manifestaient en réclamant du pain, leur aurait conseillé de manger de la brioche.


Face aux lobbies intégristes, le riz doré n’a pas pu dépasser le stade des cultures expérimentales et n’a toujours pas pu être mis à la disposition des populations qui en auraient besoin. Les associations anti-OGM ont enchainé les campagnes de dénigrement et dépensé 12 millions de dollars par an pour empêcher sa culture, soit 4 fois le budget de développement du riz doré.


Alors que scientifiques, associations anti-OGM et états s’étripent depuis 10 ans sur la mise à disposition du riz doré pour les populations carencées, plusieurs dizaines de milliers d’enfants meurent chaque années de carence en vitamine A. La revue World Bank Discussion a estimé en 2004 que le riz doré pourrait permettre à l’Asie d’économiser 15,2 milliards de dollars / an.


Un article sur les pucerons rouges parut dans la revue Science au mois d’avril 2010 mets un peu plus en lumière tout le ridicule de la situation actuelle du riz doré.


Les caroténoïdes sont des composés colorés produits par les plantes, les champignons et les microorganismes qui sont nécessaires à la plupart des animaux, mais qui doivent obligatoirement être présents dans leur  alimentation car ils ne savent pas les synthétiser. Mais est-ce toujours le cas ? Et bien non.


pucerons rougesIl a été remarqué que certains pucerons des pois présentent un dimorphisme de couleurs : certains sont verts alors que d’autres présentent une belle couleur rouge. Des biologistes de l’Université d’Arizona, à Tucson (États-Unis), se sont intéressés aux causes de ce polymorphisme, et là, surprise ! Il s'avère que les pucerons sont les uniques animaux connus à pouvoir synthétiser des caroténoïdes, ces pigments étant responsables de la couleur rouge de certains individus.

Les pucerons possèdent de multiples gènes responsables de cette synthèse, et les individus rouges ont en plus un gène de caroténoïde desaturase, absent dans les individus verts, qui leur permet de fabriquer leurs propres caroténoïdes.

Ce dimorphisme coloré seraient sélectionné et entretenu par la prédation que les insectes subissent : les coccinelles attaquent préférentiellement les rouges, alors que des guêpes parasitoïdes déposent leurs œufs dans les pucerons verts. Cependant tous les individus verts ne sont pas dépourvus de caroténoïdes : la molécule passe de teintes rouges à vertes, ou même incolore, quand les conditions environnementales se détériorent et que le stress subit par les lignées de pucerons augmente.


En 2012 une étude a montré que ces caroténoïdes produits en grande quantité par les pucerons ont un rôle dans leur métabolisme énergétique : les animaux l’utilisent dans un mécanisme de photosynthèse original. La captation de l’énergie lumineuse conduit à un transfert d’électrons du chromophore vers un accepteur. Ce système photosynthétique archaïque produit un électron qui est canalisé vers les mitochondries de manière à synthétiser des molécules d’ATP (l’ATP est le principal « carburant » des cellules). En fait, ce sont les individus aux caroténoïdes verts qui sont les plus efficaces pour capter l’énergie lumineuse. En présence de lumière les pucerons produisent beaucoup plus d’ATP que dans l’obscurité et cette production est proportionnelle à la quantité de caroténoïdes. Cette photosynthèse permettrait aux pucerons d’engranger de l’énergie en périodes de disettes.


Mais les recherches sont allées plus loin. Il était assez étrange que le puceron puisse synthétiser des caroténoïdes alors qu’aucun autre animal connu n’en est capable. Il a été montré que ces gènes de synthèse des caroténoïdes n’ont pas toujours été la propriété des pucerons : ces gènes auraient été récupérés dans des champignons par les ancêtres des pucerons, il y a 30 à 80 millions d’années, et intégrés à leurs génomes. Il y aurait donc eu ce qu’on appelle un transfert génétique horizontal (ou transfert génétique latéral) entre ces organismes, à la suite duquel les pucerons ont pu fabriquer des caroténoïdes. C’est un phénomène sans doute pas si rare dans le milieu naturel et, dans le cas présent, similaire à celui qui a été effectué dans les laboratoires par les chercheurs pour la fabrication du riz doré.

Un transfert de gènes entre espèces aussi éloignées que puceron et champignon discrédite l’argument des anti-OGM selon lequel les expériences de transgénèse effectuées aujourd’hui par l’homme ne peuvent pas se produire dans la nature.

D’après les définitions actuelles, les pucerons rouges sont donc des OGM.

Depuis des millions d’années ces sales bêtes exploitent des gènes de synthèse des caroténoïdes sur toute la planète sans aucune autorisation administrative, au nez et à la barbe de toutes les autorités gouvernementales. Est-ce qu’un mandat d’arrêt international va être lancé contre ces aphidés ? Les associations anti-OGM vont-elles se lancer dans une campagne de dénigrement des pucerons rouges à coup de millions de dollars ? Après le lynchage qu’a subit le riz doré ce serait quand même un minimum !

 

Iconographie : source Wikipedia.

 

Références :


Lateral Transfer of Genes from Fungi Underlies Carotenoid Production in Aphids, N.A. Moran, T. Jarvik, Science, 30 April 2010, 328, 624-627.


Light-induced electron transfer and ATP synthesis in a carotene synthesizing insect.  Jean Christophe Valmalette, Aviv Dombrovsky, Pierre Brat, Christian Mertz, Maria Capovilla et Alain Robichon. Scientific Report 2, Article number: 579, 2012.

 

Le site official du riz doré : http://www.goldenrice.org/index.html

 

Quelques articles salutaires :

La longue marche du riz doré…et ses embuches  

Le riz doré, un projet emblématique


Mise à jour : 14/10/2012

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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 22:00

Si un homme souhaite confirmer ou infirmer sa paternité biologique quand il a un doute, une analyse génétique comparative avec son descendant présumé peut la confirmer ou l'infirmer : c'est un examen simple et facile. Cependant, les tests génétiques de confirmation de paternité sont actuellement interdits en France sans une décision de justice les autorisant, à la différence des autres pays d'Europe où ces tests peuvent être librement pratiqués.

Du coup, beaucoup d'hommes français font effectuer ces examens à l'étranger, et leur nombre va croissant chaque année. Il y a maintenant pléthore de laboratoires dont les sites internet offrent d'effectuer ces examens : Il suffit à un homme d'envoyer par la poste un échantillon de son propre ADN, accompagné d'un échantillon de l'ADN de son enfant présumé.

Les raisons des autorités françaises pour interdire ces tests sont motivées par la protection des enfants : un homme qui pourra prouver qu'il n'est pas le père biologique d'un enfant pourra éventuellement délaisser cet enfant, le priver de ses ressources ou se détourner de son éducation. Il faut noter le déséquilibre de base dans la situation des deux sexes : par définition, étant donné qu'elle lui donne naissance, une femme ne peut jamais douter être la mère biologique d'un enfant. Ce n'est pas le cas d'un homme, et il y a donc une inégalité flagrante entre les parents.


Loin d’être un phénomène anecdotique, la recherche d’une confirmation de paternité est un phénomène quasi universel au sein du règne animal.


Du cocuage paternel

La confirmation de paternité s’inscrit dans le vaste domaine des conflits sexuels. En amont de la paternité ont trouve des luttes variées entre partenaires sexuels : en particulier la lutte du mâle pour s’assurer une exclusivité dans la fécondation des gamètes et l’utilisation des ressources de la femelles, et d’un autre côté la lutte de la femelle pour contrer les stratégies des mâles et parfois profiter des ressources qu’ils apportent (par exemple chez les mantes et les araignées).

Il a été montré que les mâles de nombreuses espèces ont mis en place des stratagèmes très divers, parfois extrêmement cruels (par exemple chez les arthropodes) destinés à prévenir leur cocuage par la partenaire femelle : ce sont des stratagèmes sociaux aussi bien que biologiques.

 

Mais une fois passée l’étape de la copulation, pour les espèces chez lesquelles les soins paternels sont essentiels pour la progéniture mais où la paternité biologique est incertaine, la théorie de l’évolution postule que les mécanismes de reconnaissance de la parenté sont un paramètre de l’évolution des organismes. Un individu capable d’évaluer correctement son degré de parenté biologique avec un autre individu peut diriger ses investissements en ressources vers ce parent et ainsi promouvoir la dissémination de son information génétique.
Au sein des espèces où les femelles ont de multiples partenaires et dans lesquelles les mâles procurent des soins parentaux, les mâles font face à une incertitude sur leur paternité dont ils doivent tenir compte pour pouvoir allouer leurs ressources spécifiquement à leur descendance, et ainsi maintenir leur fitness (voir ce terme dans le glossaire des jeux évolutionnistes). Dans ce contexte, la théorie de la sélection de parentèle prédit que les mâles doivent estimer leur paternité en utilisant des indicateurs fiables.

L’utilisation d’indicateurs indirects, tel que la cohabitation avec la femelle, n’est pas appropriée pour la décision d’investissement paternel car celui-ci est couteux et la cohabitation est un indice trop aléatoire pour estimer la probabilité de paternité (cet indicateur indirect est cependant utilisé par les mâles de certaines espèces d’oiseaux). Dans ces situations les pères sont supposés discriminer leurs propres descendants de ceux des autres mâles sur la base de différences phénotypiques.

Des preuves indirectes que les pères putatifs de nombreuses espèces utilisent des indices de paternité pour diriger leurs investissements sont fournies par de nombreuses études, et montrent que les mâles ajustent leurs efforts paternels en fonction du risque de cocuage. Toutefois, les preuves directes de décisions d’investissement parental fondé sur la parenté effective sont encore rares (par exemple mises en évidence chez le crapet arlequin, poisson chez lequel l'investissement parental des mâles dépend de leur paternité, évaluée à partir des odeurs émanant de la descendance après éclosion des œufs).


Et chez nous ?…

Chez les humains on estime qu’entre 1% à 30% des enfants - suivant les sociétés humaines - ne sont pas les descendants biologiques de ceux qui croient être leur père. L’incertitude de la parenté influence l’investissement paternel : dans une étude publiée en 1980, effectuée sur 135 sociétés humaines, il a été montré que le degré de confiance dans la paternité est associé positivement avec le niveau d’investissement des pères au niveau de la population.

Il y a maintenant des preuves que les pères utilisent des indices phénotypiques directement reliés à la parenté pour ajuster leurs décisions d’investissement paternel (par exemple la ressemblance faciale avec soi même est plus importante pour un homme que pour une femme dans la décision d’adoption d’un enfant). En ce qui concerne l’utilisation des odeurs corporelles (qui ont des caractéristiques en partie génétiques), rien n’avait été démontré, même s’il existe des indices forts : chez les humains, contrairement à ce que l’on croit, les capacités olfactives sont, comme chez les animaux, suffisamment puissantes pour permettre la reconnaissance sociale (des études ont montré que les odeurs humaines renseignent sur le lien de parenté, et qu’elles sont utilisées dans le choix du partenaire sexuel pour éviter la consanguinité).


Une publication récente apporte des lumières nouvelles et inédites sur le sujet1.

A partir d’une étude effectuée au Sénégal, une équipe de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier vient de montrer que l’investissement paternel humain a été sélectionné au cours de l’évolution. Les chercheurs ont quantifié à la fois des similarités d’origine génétique des enfants avec leur père et l’investissement paternel de celui-ci envers ses enfants : Ils ont montré qu’il y a une corrélation nette entre ces deux paramètres.

 

Cette étude a été conduite dans 30 familles de villages traditionnels du Sénégal, dont les groupes ethniques sont principalement les Sérères, les Wolofs et les Peuls. Les familles étaient souvent polygames, vivaient principalement de l’agriculture et devaient contenir au moins 2 enfants entre 2 et 7 ans :

  • Des questionnaires auprès des mères et des pères ont servi à quantifier l’investissement paternel auprès des enfants (temps passé, attention, affection, argent donné, etc), ainsi que les éventuels conflits maritaux. A partir des réponses obtenues un index d’investissement était attribué à chaque père.
  • Des personnes étrangères, qui ne connaissent pas ces familles, étaient utilisées comme évaluateurs pour estimer la ressemblance entre des pères et des enfants en comparant indépendamment leurs visages ainsi que leurs odeurs, deux paramètres qui ont un déterminisme génétique. Pour les visages, une photographie de chaque enfant était montrée à l’évaluateur concomitamment avec celles de 3 hommes incluant le père. Pour les odeurs, l’évaluateur devait comparer les odeurs d’un tee-shirt porté par l’enfant avec ceux de 2 hommes. A chaque fois que le père était reconnu, un point était attribué et ces résultats étaient compilés pour construire un index de ressemblance.
  • Des renseignements sociaux, démographiques, sanitaires et économiques étaient collectés sur les enfants ainsi que sur les parents.


Les résultats montrent que l’investissement paternel est d’autant plus important que la probabilité d'apparentement à l'enfant, évaluée par des similarités d'origine génétique (visage et odeur indépendamment), est importante. Un résultat important est aussi que les hommes sont meilleurs que les femmes pour détecter les degrés de parentés à partir des odeurs corporelles. L’étude a également montré que dans ce pays en développement, où la mortalité infantile reste encore importante, les conditions de croissance, d’éducation et de nutrition des enfants sont d’autant meilleures que l’investissement paternel est élevé : l'investissement paternel est alors décisif  pour la fitness des individus.


Les études se poursuivent notamment avec une hypothèse sur un critère du choix de la partenaire : dans le choix d’une partenaire, afin de diminuer leurs incertitudes sur leur future paternité, est-ce qu’une stratégie des hommes ne serait pas de choisir d’avoir des enfants avec des femmes dont l’apparence physique permet aux traits masculin de s’exprimer, et d’avoir des enfants qui ressemblent à leur père ? On peut alors s’attendre à ce que des traits récessifs dans le visage d’une femme soient préférés par les hommes, par rapport à des traits dominants.

 

On sait maintenant que les intérêts divergents sont innombrables entre partenaires sexuels de toutes les espèces vivantes : la reproduction est moins une affaire d’amour que de stratégies.


***

1 : Alvergne et al. Father-offspring resemblance predicts paternal investment in humans. Animal Behaviour, May 28, 2009.

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9 août 2009 7 09 /08 /août /2009 00:28

Les hominidés, un groupe largement décimé

 

Les hominidés (les grands singes actuels : gorille, chimpanzé, bonobo et orang-outang ; et les homininés, une vingtaine d’espèces connues : la lignée humaine (les espèces du genre Homo), Sahelanthropus, Ardipithecus, Australopithecus, Orrorin, Ardipithecus, Kenyanthropus, Paranthropus et les Australopithèques, tous disparus), sont souvent considérés - dans une vision plus ou moins finaliste - comme la pointe avancée de l’évolution de la vie. Pourtant, avec le regard en arrière que permettent des découvertes récentes en paléoanthropologie, associées à la situation actuelle des grands singes, un pessimisme de circonstance est de rigueur et amène à considérer avec plus de modestie l'adaptation de ce groupe et « l’importance du cerveau » dans l’évolution.

 

La disparition annoncée des grands singes ?

 

Sans compter que les hominidés – mis à part les humains actuels - n’ont jamais constitués des groupes extraordinairement florissants au cours des temps géologiques, la situation de la totalité des espèces restantes n’a cessée de se dégrader ces dernières décennies. Toujours confinées sur des territoires isolés et restreints, elles n’ont jamais su se répandre à la surface de la terre au delà de leurs petites aires de répartitions.

Victimes de la déforestation, du morcellement de leurs territoires, des conflits armés, du braconnage, de l’attrait pour la viande de brousse, de leur faible natalité ou de l’émergence du virus Ebola, les grands singes périclitent.

Il y a peu à dire sur la situation des grands singes : les quelques chiffres actuels sont éloquents. Avec des populations comprises entre 100 000 et seulement 600 individus (pour le gorille des montagnes), certaines espèces de gorilles sont au bord de l’extinction. Les orangs-outangs ont vu leur population décliner à environ 70 000 individus avec la disparition des forêts qui constituent leur habitat. Le genre chimpanzé ne s’en sort pas mieux avec des populations réduites à 20 000 individus pour les bonobos et 100 000 pour les chimpanzés communs, et a déjà disparu de 4 états africains.

 

La disparition de l’Homme de Neandertal : l’Homme moderne pointé du doigt

 

Il y a 42 000 ans en Europe, et jusqu’au sud de la Sibérie et en Asie centrale, la population humaine était exclusivement constituée d’Hommes de Neandertal (Homo neanderthalensis), une autre espèce que l’Homme moderne (Homo sapiens), qui n’y avait pas encore mis les pieds. L'Homme de Neandertal était d’apparence trapue, il avait évolué et s’était adapté au climat froid de l’Europe pendant des centaines de milliers d’année. Il possédait le plus gros cerveau (1500 à 1750 cm3) de tous les hominidés qui ont vécu sur terre jusqu’à ce jour, alors qu’il était pourtant de taille plus petite que l’Homme moderne. Il a disparu il y a un peu moins de 30 000 ans, pour des raisons qui sont restées mystérieuses et controversées, soit 15 000 ans après l’arrivée en Europe des Hommes modernes, venus d’Afrique.

Les analyses génétiques des restes fossiles ont montré que la population néanderthalienne était restée extrêmement clairsemée : le nombre total de femmes qui étaient en âge de procréer il y a 130 000 ans est estimé entre 5000 à 9000 femmes pour l’Europe de l’Ouest. Les analyses ADN effectuées à partir de la fin des années 1990 ont contredit l’hypothèse d’assimilation des néanderthaliens  par les Hommes modernes, un instant avancée pour expliquer leur disparition : il semble que les 2 espèces ne se sont pas hybridées et fondues l'une dans l'autre.

Aujourd’hui, des preuves pointent la compétition avec l’Homme moderne comme cause probable de la disparition des néandertaliens :

- L’Homme de Neandertal a dû être en concurrence avec l’Homme moderne pour le partage des ressources naturelles. Ce dernier aurait pu bénéficier d’un avantage démographique (taux de reproduction, mortalité, âge du premier enfant), même minime, qui a pu faire la différence face à Neandertal. L’homme moderne aurait pu mettre en place de la sécurité et de la densité de population, qui permettent de créer des réseaux sociaux nécessaires à la transmission des innovations et à l’installation d’un progrès continu.

- Il a été montré que dans le sud de l’Espagne, la dernière zone ou ont subsisté les néanderthaliens, ceux-ci ont été protégés pendant 1500 ans par un climat froid et aride de l’avancée vers le sud des Hommes modernes. La compétition entre les 2 espèces a repris avec le retour d’un climat tempéré, jusqu’à l’extinction totale de l’Homme de Neandertal.

- Et de manière troublante, 2 fossiles de néanderthaliens récemment trouvés présentaient des traces de dépeçage et surement de cannibalisme (mais était-ce par les Hommes modernes ?).

 

Une découverte majeure : l’Homme de Florès

 

A ce jour la découverte de l’Homme de Florès constitue, incontestablement, la plus grande découverte de ces dernières décennies en anthropologie.

 

Petit résumé chronologique des événements :

 

Septembre 2003 : Une équipe de paléontologues découvre dans une grotte de l’ile de Florès, en Indonésie, le squelette fossile d’un hominidé, une femme, mesurant environ un mètre.

 

2004 : Les premiers résultats de l’étude du squelette sont publiés le 28 octobre 2004 dans la revue Nature et l'« Homme de Florès », ou Homo floresiensis, fait la couverture de la revue. Il serait une espèce totalement nouvelle au sein des hominidés. Des outils en pierre retrouvés sur le site sont également étudiés. Les média du monde entier s’emparent de l’affaire.

 

2005 : La datation du fossile est un choc : elle indique que cette espèce peuplait encore la région il y a seulement 18 000 ans, alors qu’Homo sapiens - l’Homme moderne - avait déjà colonisé toute la planète, y compris l'île de Florès.

La description des restes de 9 fossiles d'Homo floresiensis est publiée dans la revue Nature le 13 octobre 2005, et confirme ces hypothèses : Homo floresiensis a vécu sur l’île de Florès sur une période continue entre -95 000 et -12 000 ans.

Il est montré qu’Homo floresiensis était capable de concevoir des outils, qu’il chassait et maitrisait l'usage du feu. La description d’Homo floresiensis indique qu’il mesurait environ 1 m pour 16 à 28 kg et se tenait debout. Ses caractéristiques principales sont la petite taille et la taille réduite du cerveau (380 cm3).

 

Dés la publication des premiers résultats la polémique s’installe et se poursuit pendant plusieurs années. Des paléontologues contestent à l’Homme de Florès le statut de nouvelle espèce : cette découverte est trop inattendue et ce fossile trop récent. Pour eux il serait plutôt une sorte de pygmée microcéphale ou un variant pathologique d’Homo sapiens (D’après les lois du développement biologique, la division de moitié de la taille d'un hominidé ne fait diminuer que de 15% la taille du cerveau : d’après sa taille Homo floresiensis devrait avoir un cerveau de 750 cm3).

Il est cependant fait remarquer que tous les individus qui ont été retrouvés sur le site présentent les mêmes caractères que le fossile principal : cela impliquerait que l'île de Florès "abritait un village entier d'idiots microcéphales..." (Il faut également savoir que les paléontologues de l’époque de la découverte des premiers fossiles d’Homme de Neandertal avaient fait preuve de la même incrédulité : plutôt qu’une nouvelle espèce on a longtemps cru qu’il était un variant pathologique de l’Homme moderne).

 

Une première étude du crane publiée en 2005 écarte les hypothèses selon lesquelles Homo floresiensis serait un pygmée ou souffrait de microcéphalie : Il était doté d’un cerveau évolué, et les chercheurs estiment que l'encéphale se rapproche plus de celui d'Homo erectus (un hominidé disparu il y a environ 300 000 ans) que d'un Homo sapiens.

 

2007 : cette année plusieurs études distinguent clairement l’Homme de Florès de l’Homme moderne :

- une autre reconstitution du cerveau montre qu’Homo floresiensis ne souffrait pas de microcéphalie mais avait un cerveau normal, et que l'espèce est bien spécifique.

- Une étude sur les os du poignet montre encore qu’il n’est pas un Homo sapiens, mais qu’il se rapproche beaucoup des grands singes actuels.

 

2008 : au cours de l’année une étude des photos d’un crane fait dire à des chercheurs que les Hommes de Florès étaient des sortes de « nains crétins » humains résultant de déficiences alimentaires, avec en particulier un manque d'iode durant la grossesse... Les paléontologues dénoncent le manque de sérieux de l’étude.

 

2009 : cette année plusieurs études confirment définitivement l’appartenance de l’Homme de Florès à une nouvelle espèce d’hominidés :

- En début d’année une nouvelle étude approfondie des crânes montre que ceux-ci ne sont pas microcéphales et sont plus proche de ceux des autres hominidés que de l’Homme moderne.

- une étude publiée en avril a déterminé quelles étaient les techniques de confection des outils façonnés par Homo floresiensis, et a montré avec surprise que les outils plus récents retrouvés dans l’île et attribués à Homo sapiens étaient façonnés avec des techniques strictement identiques : l’Homme de Florès aurait été un modèle pour l’Homme moderne.

- une étude, publiée au mois de mai, sur la structure du pied de l’Homme de Florès, confirme la bipédie et fait apparaître une morphologie totalement inédite, sans équivalent avec celle des autres hominidés récents, mais proche des grands singes ou d’Homo habilis (un hominidé disparu il y a environ 1,8 millions d’années), suivant les parties osseuses étudiées. Les chercheurs émettent l'hypothèse qu’Homo floresiensis ne dérivait pas d’Homo erectus, mais d’un hominidé plus primitif, soit d’un type d’Homo erectus très ancien, soit d’Homo habilis.

- Fin 2009, une dernière étude basée sur l’analyse statistique du squelette bien préservé d’une femme confirme que Homos floresiensis est bien une espèce distincte, et non un variant de Homo sapiens.

 

La découverte de l’homme de Florès constitue une révolution :

- Les trois dernières espèces du genre Homo qui ont peuplé la terre au même moment étaient Homo sapiens (l’Homme moderne), Homo neanderthalensis (l’Homme de Neandertal) et Homo floresiensis (l’Homme de Florès).

- Elle oblige à revoir complètement les dates et le scénario de la sortie d’Afrique de la lignée humaine.

- L’origine de l’Homme de Florès, probablement très éloignée dans le temps, laisse perplexe, et son embranchement sur l’arbre évolutif des hominidés reste énigmatique. Il n’a qu’une parenté très éloignée avec les néandertaliens et l’homme moderne.

- Comment l’Homme de Florès a-t-il disparu ? Peut-être décimé il y a 12000 ans par une éruption volcanique…

 

Conclusion, restons modestes

 

Alors, un cerveau complexe, pourquoi faire ?... Pendant des décennies le schéma d’évolution de la lignée humaine qui a été enseigné était celui d’une évolution graduelle et continue du singe vers l’homme moderne, à travers la succession d’espèces fossiles qui avaient été retrouvées, et qui se seraient succédées les unes après les autres au cours du temps.

On sait depuis la fin des années 80 que l’évolution de la lignée humaine est loin d’avoir été linéaire vers l’homme moderne, mais qu'elle est plutôt constituée d’un buisson touffu d’espèces différentes et défuntes, dont la plupart ont été des culs de sacs évolutifs. L’homme de Florès a probablement été l’avant-dernier représentant sur terre du genre Homo, et a quitté la scène pour laisser la place au seul qui subsiste encore, l’Homme moderne. La longue liste des représentants disparus des hominidés témoigne du fait que le développement de l’organe cognitif qui est leur caractéristique est loin de constituer une garantie de succès évolutif.

Foin de l’anthropocentrisme et de la téléologie, aujourd’hui plus que jamais la phrase du grand biologiste de l’évolution Stephen Jay Gould résonne comme une prophétie et remets les hominidés à leur juste place, pas très brillante : «  les véritables maitres de la terre ont toujours été, et seront toujours, les bactéries ».

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12 juillet 2009 7 12 /07 /juillet /2009 22:26

 

Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,

D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,

Les souvenirs lointains lentement s'élever

Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

    Charles Baudelaire - Les fleurs du mal (1857)

 

 

Ce gros organe mou et grisâtre, dissimulé dans l’étroitesse de notre boite crânienne qui en épouse tous les contours, est bien autre chose qu’une fenêtre sur l’extérieur : il reconstruit le monde à l’intérieur de nous.


Notre cerveau a t-il besoin de nous ?...

 

Cette question peut paraître paradoxale, voire saugrenue : la conscience est toujours considérée comme « conscience de quelque chose » et imaginer un cerveau réfléchissant seul, en autarcie, déconnecté de la conscience de son « propriétaire », n'a pas vraiment de sens.


Pourtant les résultats surprenants des travaux de l'équipe du professeur Kalina Christoff, du Département de sciences neurologiques de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver, et publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences américains, sont sans appel : quand on rêvasse, quand on laisse son esprit divaguer sans penser à rien de précis, notre cerveau s'occupe intensément, en parallèle, à résoudre des problèmes complexes auxquels nous ne pensons pas à ce moment là.


Dans les expériences qui ont été conduites, des personnes ont été placées dans des appareils d'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) qui mesurent l'activité de différentes parties du cerveau. Ces personnes ont été amenées à faire des taches simples et répétitives, devenant rapidement automatique, ou bien elles rêvassaient spontanément. Comme on s'y attendait, le réseau cérébral par défaut - qui gère les actes de routine (marcher, faire un geste répétitif, etc) - est actif quand les sujets laissent leur esprit vagabonder.

 

De façon plus surprenante, le réseau cérébral exécutif - que l'on croyait en repos dans ces situations, et qui s'active pour la résolution de problèmes complexes (il est situé dans le Cortex préfrontal moyen et forme le lobe frontal du cerveau, situé en avant des régions pré-motrices, duquel dépendent les fonctions cognitives supérieures, comme le raisonnement, le langage et la mémoire)  - s'active très intensément quand les sujets sont en pleine rêverie. Pendant que les sujet rêvassent le cerveau se mets à réfléchir et enclenche des circuits de résolutions de problèmes qui permettent aux sujets de trouver des solutions à des problèmes complexes auxquels ils ne pensent pas. Le Pr K. Christoff indique : « Les personnes qui rêvent éveillées ne sont peut-être pas aussi concentrées lorsqu'elles exécutent une tâche, mais elles font appel à beaucoup plus de ressources de leur cerveau ».


Ces travaux démontrent que pour résoudre des problèmes complexes, rêvasser est parfois plus productif que de s'acharner inutilement. De la même manière que le sommeil permet de consolider des souvenirs, laisser son esprit se distraire sans but précis serait utile à la réflexion. L'image du « cerveau-ordinateur » se trouve renforcée par ces travaux, et la volonté consciente, ou bien la notion plus philosophique « d'âme », ne serait qu'un épiphénomène de l'activité cérébrale finalement pas si indispensable.

 

Voyager en musique

 

S'il faut rêver pour éclaircir les mystères du monde, alors rêvons en écoutant de la musique !


Entre un Beethoven complètement sourd mais capable de composer ce pensum de la musique romantique qu'est sa 9ème symphonie sans pouvoir en entendre une seule note, et à l'opposé Che Guevara qui possédait une audition tout à fait normale mais était atteint de dysmusie, incapable de percevoir une mélodie et de faire la différence entre une salsa et une rumba, la perception et le rôle de la musique restent un mystère.


Il a été montré que lorsque l'on se remémore une mélodie dans sa tête, le cerveau utilise les mêmes régions que pour entendre cette mélodie avec les oreilles : le cerveau n'a pas besoin d'ondes sonores pour reproduire les sons. Certaines personnes présentent une synesthésie musicale : la musique est associée à l'activation d'autres sens totalement différents; ce fut le cas par exemple du compositeur et musicien Franz Liszt, qui voyait des couleurs en entendant de la musique. La synesthésie résulterait d'une perméabilité entre régions cérébrales voisines, qui traitent normalement des sensations distinctes (couleurs, formes, gouts, odeurs ou sons, etc), mais qui s'activent les unes les autres au moment de la perception d'un stimulus sensoriel. Dans tous les cas la musique active les centres cérébraux du plaisir et de la récompense (circuits à dopamine), ce qui souligne son importance biologique mais, à la différence de ce qui se passe avec la nourriture ou le sexe, cette activation répondrait aussi à des paramètres culturels.


La découverte de flûtes façonnées par l'homme de Neandertal, notre lointain cousin, montre que la musique est aussi vieille que les Hommes. Suivant les chercheurs, les idées sur le rôle de la musique varient : la faculté spontanée de décoder la musique et le fait que des aires cérébrales spécifiques lui sont dédiées - différentes de celles du langage - laissent croire qu'elle répondrait à un besoin physiologique. Son universalité dans toutes les sociétés fait penser qu'elle assurerait une fonction de cohésion sociale, et écouter de la musique seul nous aiderait à nous sentir partie intégrante du monde...


*****

Le voyage d'hiver (si vous aimez Brahms...)


Le jour tombe, vous êtes confortablement installé sur le canapé. Dans l'appartement enténébré les bruits de la rue s'estompent et ne parviennent plus qu'étouffés. Sur la platine de la chaine hi-fi le CD-Rom de la Rhapsodie pour contralto, chœur d'hommes et orchestre, de Johannes Brahms vient d'être posé.

Brahms composa cette œuvre en 1869 - la seule de cette année là - à partir de 3 strophes du poème « Le voyage d'hiver dans le massif du Harz » de Goethe, et les strophes mises en musique décrivent l'errance d'un jeune homme dans un paysage hivernal et désolé.

Il s'agit de l'enregistrement du 18 décembre 1947 du London Philarmonic Orchestra & Choir, qui accompagne le contralto britannique Kathleen Ferrier. L'œuvre de Brahms est sans doute une de ses plus émouvantes, et Kathleen Ferrier, trop tôt disparue en 1953, est - chose rare - un vrai contralto, qui trouve ici tout son emploi, et non un mezzo rabaissé comme on en entend si souvent.


L'introduction orchestrale en ut mineur s'immisce dans la pièce presque discrètement, telle le générique d'un drame en noir et blanc des années 50. L'entrelacement étouffé des cordes, des bois et des cuivres, grave et austère, presque dissonant, plante le décor d'un paysage hivernal et semble résonner dans les ténèbres d'une forêt désolée comme dans une toile de Friedrich. Puis, après quelques secondes de silence, la voix de  Kathleen Ferrier émerge lentement des profondeurs de cette ambiance austère, tout aussi grave et profonde. L'étirement du chant, presque un lamento, est soutenu par des accords de cordes sombres et lointains, comme un vent dans les branches, qui portent sa voix à travers des contrées glacées. Entre échos de clairières et désolations nocturnes son timbre empreint de suavité distille une tristesse prenante.


Dans la deuxième partie de l'œuvre les cors résonnent dans des plaines froides et au fond de gorges profondes, et la voix de la soliste chemine dans les brumes d'un paysage désertique. Le chant s'étire en entrelacs qui passent abruptement du grave à l'aigu sans jamais perdre le fil d'une mélodie pleine des syncopes propres aux œuvres de Brahms. La langue rauque trouve sa pleine puissance avec le timbre de contralto, à nul autre pareil, de la cantatrice britannique. Le chant est à la fois longue plainte et berceuse, douloureux et consolateur, et semble flotter dans le froid de l'hiver au dessus de rochers pétrifiés.

 

La troisième partie de l'œuvre quitte la tonalité de l'ut mineur pour passer en ut majeur et se laisse gagner par des accents montants. Guidée par une mesure à quatre temps, la soliste est progressivement soutenue par le chœur des voix d'hommes, dont on perçoit d'abord la sourdine lointaine, qui enfle et s'amplifie.

La dernière strophe du poème quitte l'obscurité et emporte les voix au dessus de la désolation hivernale en direction d'une clarté nouvelle. Ténors et basses ont été divisés en deux groupes pour créer la partition à quatre voix, et soutiennent le chant du contralto qui prend des accents plus aigus et monte lentement vers la lumière. Entre canons et contrepoints légers, interruptions orchestrales par les mouvements des cordes ou des bois, les choristes cheminent avec la soliste dans un ensemble cohérent dans lequel on entend par moment se dissocier les deux pupitres.

Quand la voix de kathleen Ferrier s'extirpe de la forêt de ténèbres pour atteindre des notes plus hautes, poussée par le souffle des voix d'hommes qui semble la porter, alors  - à cet instant - l'Univers n'a plus aucun secret pour vous.

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18 janvier 2009 7 18 /01 /janvier /2009 14:22

L’être humain est décidément un animal social, et les enjeux de la cohésion du groupe passent souvent par des mécanismes insoupçonnés… Voici quelques exemples et découvertes récentes qui les illustrent.


Incivilités en chaînes

 
A partir de la fin des années 80, les Etats-Unis, confrontés à une ascension continue de la criminalité depuis des décennies ont mis en place une répression policière particulière basée sur la théorie du carreau cassé.

 
Qu'est-ce que la théorie du carreau cassé ?

 
La théorie du carreau cassé (ou théorie de la  vitre brisée) postule que les crimes et incivilités s'auto-entretiennent dans une population par un effet de mimétisme. Elle affirme que le moindre désordre ou la plus petite incivilité en provoque d'autres par une sorte d'effet boule de neige : un délit ou un désordre (une vitre cassée, des graffitis, une incivilité, etc) augmente les tendances des personnes qui les constatent à enfreindre à leur tour les normes et règles sociales. Un carreau cassé entrainera d'autres carreaux cassés s'il n'est pas vite réparé. Il faut donc, dés leur apparition, gommer de l'environnement les premiers signes de désordre et sanctionner les plus petites infractions, sous peine de les voir se diffuser et s'amplifier dans une population au cours du temps.

 
Les résultats de la politique de tolérance zéro vis-à-vis des plus petits délits mise en place dans les grandes villes des Etats-Unis ont été spectaculaires, avec une forte baisse de la délinquance. Pourtant, cette théorie du carreau cassé n'avait jamais été prouvée. C'est maintenant chose faite.

 
L'équipe de K. Keiser, de l'Université de Groningen en Hollande, a réalisé une série de 6 expériences en pleine rue impliquant de nombreuses personnes, principalement pour savoir si l'observation de comportements inappropriés pousse les gens à oublier leurs considérations sur les normes sociales en faveur d'autres considérations telles que l'auto-gratification. Les résultats ont été éloquents, et parmi eux on peut citer :

  • - Devant un parking à vélo, et en absence de poubelle, ils ont couvert - ou non - les murs de graffitis et ont placé sur les vélos un prospectus publicitaire. En présence de graffitis 69% des propriétaires de vélos ont jeté le papier à terre en récupérant leur vélo, alors qu'ils n'étaient plus que 33% à le jeter à terre en absence de graffiti.
     
  • - Deux panneaux ont été placés devant une entrée de parking, l'un interdisant d'attacher des vélos à une clôture et l'autre demandant d'effectuer un détour de 200 m pour pénétrer dans le parking. Quand 4 vélos sont clairement attachés à la clôture (scénario désordre), 82% des personnes testées outrepassent l'interdiction de pénétrer directement dans le parking et rentrent sans faire de détour. Mais quand les 4 vélos sont placés à distance de la clôture (scénario ordre), ils ne sont plus que 27% à outrepasser l'interdiction d'entrer dans le parking sans faire le détour.
     
  • - Ils ont également voulut tester si des incivilités peuvent pousser au vol, et là encore les résultats ont été édifiants. Dans une expérimentation, une enveloppe contenant 5 euros bien visibles est à moitié glissée dans la fente d'une boite aux lettres. Est-ce que les gens vont voler l'enveloppe ou la glisser complètement dans la boite du destinataire? Si la boite aux lettres et le sol sont propres, seulement 13% des personnes testées volent l'argent, mais si la boite aux lettres est couverte de graffitis ou le sol jonché de détritus le nombre de voleurs double et passe à 27%.

La théorie du carreau cassé est un principe de cohésion sociale : les individus d'une population connaissent le niveau d'infraction aux règles « qu'ils  peuvent se permettre » en analysant inconsciemment les paramètres de leur environnement, et adaptent ensuite leur comportement pour être en phase avec le comportement de la population.

 
Cette théorie sur les effets de groupe me rappelle les dernières découvertes faites sur... le bâillement.

 
La réplication des bâillements

 
Les bâillements sont modulés par l'horloge biologique et accompagnent beaucoup des transitions comportementales. Il a pendant longtemps été supposé que le bâillement est un moyen réflexe qu'à l'organisme pour oxygéner le sang au moment ou il entre dans un état de somnolence, ceci pour revenir à un état de vigilance plus élévé. Pourtant des mesures ont montré que l'aspiration d'air au moment du bâillement ne modifie pas la composition des gaz du sang, et cette théorie physiologique de l'éveil par l'oxygénation est maintenant abandonnée.

 
A part le mouvement respiratoire, l'autre constante dans le bâillement est le mimétisme qu'il engendre (échokinésie). L'adage dit « qu'un bon bailleur en fait bailler sept » et, en effet, bailler après avoir observé quelqu'un bailler est un phénomène universel : des expérimentations ont montré que tous les humains de la planète réagissent à un bâillement (40% à 60%), et ceci même face à un film ou une image qui montre quelqu'un bailler. Mais il est nécessaire pour cela de voir la totalité du visage : la seule vision de la bouche ne suffit pas à déclencher un bâillement. La contagion des bâillements implique une reconnaissance des émotions, qui fait appel à des circuits neuronaux très complexes, ce qui explique que la réplication n'existe que chez les hominidés supérieurs et n'apparaît chez les enfants qu'après l'âge de 4 ou 5 ans. Stephen Platek, de l'Université de Philadelphie, a montré que les individus sont d'autant plus sensibles à la réplication du bâillement qu'ils sont capables d'empathie envers les autres.
La communion dans le bâillement serait un reflexe presque aussi naturel que tendre la jambe après le coup de marteau du médecin sous la rotule.

 
A l'heure actuelle, la principale théorie pour expliquer la réplication du bâillement dit qu'elle a un rôle dans la cohésion d'un groupe : La réplication du bâillement s'apparente au décryptage automatique et non conscient d'un état de vigilance chez autrui, permettant une synchronisation des états de vigilance entre individus.
Bailler provoque effectivement un petit coup de fouet, mais neurologique et non métabolique, et les bâillements en chaînes entre personnes qui se côtoient permettraient à chacun de se mettre dans le même état de vigilance que les autres membres du groupe. Cette capacité participerait d'une forme d'empathie instinctive involontaire et repose sur une communication non verbale, façonnée au cours de l'évolution des hominidés supérieurs. La réplication des bâillements aurait été sélectionnée au cours de l'évolution car elle confère un avantage sélectif en permettant une synchronisation efficace des niveaux de vigilance entre les membres d'un groupe et leur permet de rester en phase.

 
Synchronisation des fertilités

 
Je termine par un fait bien connu, et plus « organique », de découverte assez ancienne maintenant, mais qui est en droite ligne avec les faits ci-dessus qui décrivent des mécanismes de groupes.

 
Des femmes qui se côtoient quotidiennement - qui vivent ensemble ou travaillent dans un même bureau, par exemple - et qui ont au départ des cycles menstruels décalés, ou de durées différentes, raccourcissent ou rallongent progressivement leurs cycles menstruels en le calant sur celui de leurs voisines. Elles finissent par toutes avoir des périodes de fertilité qui surviennent au même moment. Cette synchronisation serait due à l'émission de phéromones volatiles par les glandes axillaires des femmes, qui influent sur les cycles menstruels des autres membres du groupe.

Pourquoi l'évolution a-t-elle sélectionné ainsi un mécanisme pour synchroniser la fertilité des femmes en groupe ? Mystère...

 
Il y a pléthore d’exemples de ce type, et de nouvelles découvertes du type de celles décrites ci-dessus sont faites chaque semaine.

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